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Les wikis

Les espaces de l'intelligence collective

 

Les wikis, les espaces de  l'intelligence collective

Introduction

Lorsque Ward Cunningham, informaticien de Portland (Oregon) crée son site Pattern Repository Project en 1995, il était loin de se douter qu’il enclenchait une révolution. Passionné de programmation, il voulait partager ses découvertes avec ses amis et collègues développeurs, sur un site où tout le monde pourrait écrire, aussi facilement que sur une feuille de papier. Petit à petit, les contributions se sont multipliées. Les programmeurs échangeaient leurs idées, commentaient, corrigeaient, biffaient, comme sur un gros bloc note partagé. Comme ce site était vraiment simple et rapide à utiliser, Ward, amoureux sans doute des plages ensoleillées de Hawaii, eut l’idée de l’appeler « Wiki », ce qui signifie « vite » dans la langue de l’île.

Dix ans plus tard, les wikis se sont multipliés. On en trouve des milliers sur Internet. Les universités, les entreprises, les associations en installent sur leur intranet. Wikipedia, l’encyclopédie mondiale, est non seulement le plus gros wiki du monde, mais aussi l’un des plus gros sites Internet, avec près d’un million de pages. Les wikis ne sont plus réservés aux informaticiens, ils sont utilisés par un public de plus en plus large.

Cet engouement est révélateur d’un nouvel état d’esprit qui déferle sur la Toile : celui de la coopération généralisée. Aujourd’hui, les internautes s’unissent pour créer une force qui fait voler en éclats les cadres conventionnels de l’économie et de la culture. Les échanges de fichiers musicaux sur les réseaux peer to peer obligent les maisons de disques à revoir leurs modèles économiques ? La communauté du logiciel libre taille des croupières aux éditeurs de logiciels ayant pignon sur rue ? Ce ne sont que des prémisses d’un monde en construction, massivement coopératif, dans lequel la collaboration de milliers de personnes réparties sur la planète permet de mener à bien des projets inimaginables auparavant. C’est cela, les wikis : un outil permettant à l’intelligence collective de se déployer et portant le phénomène de la coopération dans la sphère de la connaissance.

Une initiative globale de type Wikipedia est en fait emblématique d’une nouvelle approche de la coopération que l’on retrouve à des échelles moindres. L’objectif de ce livre est de faire connaître au grand public ce que sont les wikis, de décrypter comment ils fonctionnent et ce qu’ils changent dans la manière dont les gens travaillent, communiquent et vivent ensemble, en ligne et hors ligne.

Le premier intérêt des wikis, c’est qu’ils font émerger des paradoxes qui, comme leur nom l’indique, amènent à mettre en doute des opinions répandues et à sortir des sentiers battus. Comme nous le verrons en détail, un wiki est en substance un site Web dont le contenu peut être modifié par tous ses visiteurs. Le postulat est que chacun possède une parcelle de connaissance et que si l’on donne les moyens aux individus de partager cette parcelle avec la collectivité, on obtiendra au final une somme de connaissances non seulement plus importante, mais aussi de meilleure qualité, que si on avait laissé le soin à quelques experts des « milieux autorisés à penser » de le faire. Cette conception de la connaissance, hautement subversive, est aussi à l’opposé de l’individualisme. Sur les wikis, les idées prévalent sur les individus qui les expriment. C’est pourquoi il y est non seulement admis mais encore encouragé de retravailler les contenus déposés par d’autres, en les reclassant, complétant, clarifiant, quitte à en modifier la forme (expression). Les contributions anonymes permises sur certains sites témoignent même de l’envie de faire progresser le savoir global, sans revendication de paternité sur les idées. Un autre paradoxe, remettant en cause les postulats de la sécurité informatique, c’est qu’un système ouvert peut être sûr. Les wikis substituent la « sécurité douce », régnant grâce à la surveillance constante exercée sur les contenus par le groupe, à la « sécurité dure » reposant sur les identifiants et autres mots de passe. Le sentiment de sécurité sur un wiki provient donc de la dynamique communautaire et de ses ressorts psychologiques, et non sur des verrous techniques. L’idée est qu’il y a davantage à gagner à favoriser la participation du plus grand nombre en minimisant l’impact des dégradations pouvant survenir, plutôt que de sécuriser à tout crin le système en le rendant hermétique à 80% des utilisateurs.

Les wikis matérialisent donc une vision optimiste des rapports humains, et cette vision s’avère efficace. A tel point qu’ils sont désormais utilisés dans les entreprises, plus préoccupées, on le sait, de rentabilité que d’expérimentations philosophiques.

Dans ce livre, nous mettrons toujours en regard les principes à l’œuvre dans les wikis et leurs usages. Nous vous invitons à participer, à la fois par la réflexion et par la pratique, sur le wiki associé à l’ouvrage : www.leswikis.com. Vous pourrez y acquérir ou développer une expérience concrète des wikis, prolonger le livre avec vos propres exemples et analyses, et entamer un dialogue avec la communauté des lecteurs. Je suis impatient d’y découvrir vos contributions.

S’intéresser aux wikis, c’est constater qu’il existe un autre monde que celui du « principe de précaution », des « frappes préventives » et des « armes de destruction massive » : un monde dans lequel l’important, c’est vraiment de participer, animé par un précepte : ‘toutes les contributions sont importantes, aucune dégradation n’est grave’. Les mots d’ordre y sont « principe de confiance », « correction tranquille des problèmes » et « outils de coopération massive ». Je ne parle pas d’un monde idéal ou possible, mais d’un monde qui est ici et maintenant, construit jour après jour par des utilisateurs, des auteurs, des informaticiens, des cadres, des professeurs…Venez nous rejoindre.

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