Archives de catégorie : société

La liberté d’expression n’est pas le droit à l’insulte

Après quelques jours de recul, il devient possible de dissiper la brume de l’incompréhension et d’analyser ce que révèlent les événements récents.

Arrêtons-nous sur l’expression “Je suis Charlie”. Elle pose une identité entre “Je” et “Charlie”. Les millions de personnes qui ont scandé ce mantra en ont-elles bien conscience ?

Car Charlie Hebdo n’a pas le monopole de la liberté d’expression. Pour défendre cette dernière, d’autres héros existent. A quand un tirage à 5 millions d’exemplaires des albums de Reporters sans frontière pour la liberté de la presse ?

Poser une identité entre “Je” et “Charlie” pose problème. Car ces dernières années, Charlie Hebdo s’est surtout illustré, il est vrai, par ses provocations à l’encontre des musulmans et de l’Islam (même si les chrétiens en ont pris pour leur grade aussi).

Pour ma part, je ne veux pas qu’il y ait d’identité entre moi et l’insulte à l’encontre des musulmans et de l’Islam. Je ne suis donc pas Charlie.

Le succès impressionnant du slogan « je suis Charlie » est révélateur de la crise que nous traversons. Puisse-t-il ne pas l’aggraver tant il me semble reposer sur une double erreur d’appréciation, de nature éthique et politique.

Thibaud Collin

Le problème va au-delà de la religion. C’est la question de l’insulte qui est en jeu. Une anecdote personnelle : en 1993, alors que j’étais en prépa HEC à Louis-le-Grand, un étudiant avait ramené dans la classe un exemplaire de Charlie Hebdo, au lendemain de la victoire de la droite aux législatives. Je me souviens encore du titre, qui m’avait profondément choqué : “le retour des vieilles merdes qui puent.”

De sensibilité de droite, j’y avais vu une insulte.

Depuis une semaine, on entend et on lit partout “Je suis Charlie”, sans que l’on sache bien au juste ce que les gens mettent derrière ce mot. C’est une forme de schtroumphisation du mot “Charlie” : on l’utilise comme bouche-trou, en substitut d’un mot qui serait plus approprié.

“Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde” disait Camus.

Ce que j’ai envie de défendre, pour ma part, ce n’est pas le droit à l’insulte. Ce n’est pas quelque chose de vague comme “charlieschtroumpf”. C’est bien plutôt :

  • la liberté d’expression
  • le respect de la vie humaine
  • la foi dans une divinité qui s’exprime avec plus de force dans une “brise légère” que dans le feu des kalachnikovs.

“Chacun a non seulement la liberté, le droit, mais aussi l’obligation de dire ce qu’il pense pour aider au bien commun. Il est légitime d’user de cette liberté mais sans offenser. Il y a tant de gens qui parlent mal des autres religions, les tournent en dérision, font un jouet de la religion des autres : ce sont des gens qui provoquent.”

Pape François

Les censures sont nombreuses en France.  Mon militantisme politique m’en a fait prendre conscience.  Certaines idées déplaisent à l’establishment, et n’ont pas droit de cité dans les médias. C’est là, pour ma part, que je veux placer mon combat pour la liberté d’expression.

Alors, moi aussi, je dis “Non !” à l’amalgame. Non à l’amalgame entre liberté d’expression et insulte.

Prenons garde à ne pas défendre aveuglément l’insulte, de peur de perdre le droit à l’insolence. Sinon, on ne pourra bientôt plus rire de rien. C’est ce qu’illustre malheureusement le refus de l’affiche de Patrick Timsit par JC Decaux :

L'affiche refusée par JC Decaux
L’affiche refusée par JC Decaux

Et pourtant, cette affiche… Elle n’insultait personne.

Et maintenant, la surveillance

Manuel Valls, ce matin, sur BFMTV : “il y a un esprit du 11 janvier”, faisant le parallèle implicite avec le 11 septembre.

Manuel Valls, toujours : “nous devons tout faire pour assurer notre sécurité”.

Dans le même registre, Valérie Pécresse :

Plus que jamais, nous devons défendre notre vie privée ! N’oublions pas la phrase de Benjamin Franklin :

“Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.”

 

Soeur Cristina : la subversion de la subversion

Pour ceux qui ne connaîtraient pas Soeur Cristina, il s’agit d’une nonne de la congrégation des Soeurs ursulines qui a remporté cette année la version italienne du concours télévisé The Voice. Dans son album éponyme, elle chante des tubes de la pop comme True Colors de Cyndi Lauper, Try de Pink, ou encore… Like a virgin.Lorsqu’une chanteuse nommée Madonna a sorti Like a virgin, en 1984, c’était de la provocation. L’artiste jouait bien sûr sur le champ sémantique catholique : la Vierge, la Madonne. C’était une forme de subversion parce que les paroles avaient une portée sexuelle : “like a virgin touched for the very first time“. Quel toupet !Au fil des années, Madonna est devenu une chanteuse sexy, provocante, qui n’aurait pas hésité, par exemple, à lancer dans l’assistance sa petite culotte lors d’un concert organisé à l’Hôtel de ville de Paris à l’initiative de Jacques Chirac.Et voilà qu’une religieuse, c’est-à-dire l’antithèse de la bombe sexuelle, se permet de reprendre le tube de la blonde Madonna. Quel culot ! A une époque où l’on se demande si les valeurs ne se sont pas inversées par rapport à la tradition chrétienne de nombre de pays d’Europe, la boucle est bouclée. Une femme ayant décidé de consacrer sa vie au Christ subvertit les symboles de la civilisation commerciale dans laquelle nous sommes plongés. C’est donc une subversion de la subversion : chapeau, l’artiste !

Et le hasard, bordel !

hasardLes Echos du 11 septembre 2014 nous présentent la statup Ciggo. Celle-ci permet à des voyageurs de se mettre en relation avec d’autres, sur le même train, avant le départ, pour participer à des mini réunions.

Brillante idée pour occuper ses trajets ! Cette initiative n’est pas sans rappeler celle d’une autre startup, Train d’union, qui permettait une mise en relation entre voyageurs, il y a quelques années.

D’un côté, cette offre est géniale. Elle permet d’utiliser le temps de trajet intelligemment. D’un autre côté, je me dis que le voyage, c’est aussi la découverte, l’inconnu. Pas seulement le voyage lointain. Même un voyage professionnel banal peut être marqué par des rencontres surprenantes, qui peuvent parfois décider d’une vie.

Le Web 2.0, les médias sociaux, le mobile, sont des inventions remarquables, sans conteste. Mais elles relèguent de plus en plus le hasard à la portion congrue dans nos vies.

Or, on découvre aussi par sérendipité, sans forcément chercher quelque chose de précis.

Moins on laisse de place au hasard, plus on maîtrise chaque instant de sa vie, plus on est libre, d’une certaine façon. Mais d’un autre point de vue, on arrive à une conception de la vie comme un mécanisme dans lequel il n’y aurait plus de jeu, dans le double sens du terme.

Or, c’est dans le jeu que peut se loger la liberté.

L’un des cofondateurs de Ciggo déclare avoir eu l’idée du site à l’occasion d’un voyage : “Un jour où je prenais le TGV de Charleville-Mézières à Paris, je ne savais pas comment occuper mon temps de trajet (1 h 45).”

En d’autres termes, il risquait de s’ennuyer.

Mais risquer de s’ennuyer, c’est déjà risquer quelque chose. Et qui sait les fruits délicieux que peut, peut-être, porter le risque ?

Du socialisme au sociétisme

Lu dans le Point daté du 30 janvier 2014, cette prise de recul du psychanalyste Michel Schneider :

“Dernière lubie d’un socialisme devenu sociétisme par sa volonté de révolutionnner les rapports de vie privée faute de réformer la chose publique, la suppression dans les Codes de l’expression bon père de famille“. Pensez ! une triple horreur, le bon qui ne serait pas le monopole des femmes, les pères, ces antiques despotes, et la famille, un archaïsme qu’il faut déconstruire.”

Ou quand un pouvoir politique est impuissant à gouverner, il entend régenter le domicile.

De la mort d’une Levalloisienne au Caire aux caméras de surveillance à Paris

Le rapport, me direz-vous, entre le décès tragique d’une jeune fille de 17 ans au Caire et le plan visant à installer 1000 caméras de surveillance supplémentaire à Paris d’ici 2011 ?

Très simple : la violence des attentats, qui paraissait lointaine, prend une nouvelle acuité pour vous lorsque vous apprenez que quelqu’un, dans votre ville, a été touché. La prise de conscience se fait plus forte que la planète est petite et que la violence et la souffrance des uns peuvent vite devenir la souffrance des autres.

Alors pour lutter contre l’insécurité et les menaces terroristes, la mairie de Paris soutient le plan d’installation de caméras de télésurveillance, dans l’indifférence quasi générale. Mais jusqu’où sommes-nous prêts à laisser s’installer des atteintes possibles à notre liberté (atteintes possibles, pas avérées néanmoins) pour garantir notre sécurité ?

Il y a bien des collectifs qui se constituent pour dénoncer ce plan. Mais d’un autre côté, ces opposants, que proposent-ils pour assurer notre sécurité ?

Comment extirper les racines de la violence, seul moyen que nous ayons de pouvoir continuer à vivre en paix ?

Un drôle de mouvement : Freeze !

Éloge de la lenteurVous avez sûrement vu les images de la gare Grand Central à New-York ou des centaines de participants se sont immobilisés, à l’initiative du groupe de happenings Improv Everywhere. Des phénomènes similaires ont eu lieu ailleurs, notamment à Berlin. Une “freeze party” est en cours d’organisation également en France.

Pour ma part, j’ai beaucoup aimé les images de Grand Central. Selon moi, il s’agissait d’une expression artistique pure, qui n’était pas sans rappeler un épisode de la Quatrième Dimension.

Mais maintenant que ces manifestations se multiplient, je suis perplexe. Elles prennent un tour protestataire contre la rapidité du monde. Le problème, c’est que l’immobilisme n’est pas non plus une solution. Pourquoi ne pas organiser une manifestation dans laquelle tout le monde se déplacerait à vitesse ultra-lente ?

C’est vrai que c’est important de se poser de temps en temps pour réfléchir. Mais la pensée a besoin du mouvement, fût-il lent. Je peux comprendre qu’on fasse l’éloge de la lenteur, mais pas celui de l’immobilité.