Qu’y avait-il avant le Big Bang ? Peut-être rien, peut-être un état prélude à la naissance du monde.
La mythologie chinoise apporte sa propre réponse : avant la création du monde, l’univers était un esprit chaotique, une vitalité primordiale appelée Hongmeng (鸿蒙).
Ce n’est sûrement pas un hasard si Huawei a choisi ce nom pour son tout nouveau système d’exploitation maison, Hongmeng OS, traduit en anglais par HarmonyOS. La marque entend bien inaugurer une nouvelle ère dans l’univers de l’électronique grand public.
C’est vendredi 9 août, lors d’une conférence de développeurs de Huawei Technologies à Dongguan, dans le Sud de la Chine, que Yu Chengdong (余承东), alias Richard Yu, CEO de la branche Consumer Business Group, a dévoilé Harmony OS.
Sa présentation a mis l’accent sur les trois principales caractéristiques du nouvel OS : l’universalité, la sécurité et la compatibilité.
L’universalité, c’est la possibilité de faire tourner HarmonyOS sur tout type d’appareil, du plus petit objet connecté doté d’une mémoire minimaliste jusqu’à l’ordinateur doté de plusieurs Gigas, en passant par les téléviseurs. Le premier appareil que Huawei va commercialiser avec HarmonyOS sera d’ailleurs une télévision connectée, le Honor Vision.
La sécurité, quant à elle, passe par le choix d’une architecture séparant un noyau et un micro-noyau (micro-kernel). Si les développeurs pourront accéder au noyau (en mode root), le micro-noyau, comportant les fonctionnalités fondamentales de l’OS, restera préservé, mettant le système d’exploitation à l’abri de tout risque de corruption.
Enfin, la compatibilité, c’est la possibilité de faire tourner des applications Android sur HarmonyOS.
D’après le site spécialisé Huaweicentral, HarmonyOS était en développement depuis 2012. Mais la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a poussé Huawei à accélérer les choses. Ainsi, mi-mai 2019, le président Donald Trump a signé un décret plaçant le constructeur sur une liste noire lui interdisant d’acquérir des technologies américaines sans accord préalable du gouvernement de Washington. Le week-end du 19 mai, Google suspendait les licences Android de Huawei, portant un coup terrible au fabricant chinois. Son marché intérieur n’était pas touché : Google étant banni en Chine, les smartphones vendus dans le pays sont équipés du socle open source d’Android, AOSP, et non des versions Android que nous connaissons en Occident. En revanche, il lui devenait impossible de commercialiser à l’étranger de nouveaux téléphones munis de la version Google d’Android, la seule qui contienne les Google Play Services donnant accès à tout l’écosystème Google (Play Store, YouTube, Gmail, etc.). Soit un désavantage concurrentiel majeur par rapport aux autres fabricants. De nouvelles négociations ont finalement ouvert une période de grâce de 90 jours à Huawei, lui donnant de nouveaux accès à certaines technologies américaines, dont les licences Android. Mais cette période doit s’achever le 19 août 2019.
Que cette période soit renouvelée ou non, la crise a sans nul doute permis une prise de conscience pour Huawei. Dans un contexte de politique internationale plus incertain que jamais, le constructeur doit trouver des solutions pérennes pour ne plus dépendre des technologies américaines.
Officiellement, la volonté de Huawei n’est pas d’ouvrir un front sur le champ de bataille des systèmes d’exploitation mobiles. Richard Yu a précisé qu’HarmonyOS n’était pas destiné aux smartphones, et que Huawei privilégiait toujours Android pour ce type d’appareils. Il a toutefois précisé : “Si l’on nous interdit d’utiliser Android, nous pourrons passer sur HarmonyOS immédiatement. Cela ne sera pas difficile. “ A bon entendeur…
Quoi qu’il en soit, Huawei est loin d’être tiré d’affaire. Tout d’abord, si HarmonyOS peut sans doute trouver sa place sur le marché intérieur chinois, certes très vaste, il aura du mal à percer dans les autres pays, dans lesquels Android domine. D’autant qu’HarmonyOS ne pourra être compatible qu’avec les applications Android n’utilisant pas les Google Play Services, ce qui est une limitation de taille. Et encore : la compatibilité ne sera pas directe, puisque Richard Yu a reconnu que les développeurs devraient faire de “petits changements” pour que leurs applications puissent tourner sur le système de Huawei.
Par ailleurs, le décret de Donald Trump a fait perdre à Huawei un autre partenaire clé : ARM. Le concepteur de puces électroniques qui concède des licences dans le monde entier pour la fabrication des puces que l’on retrouve dans la quasi totalité des téléphones portables, a lui aussi cessé de travailler avec Huawei. C’est la capacité de Huawei de lancer de nouveaux téléphones qui se trouve mise à mal. Pire encore, les designs d’ARM se retrouvent également dans les stations 5G de Huawei, alors que Huawei fonde ses espoirs de conquête mondiale en grande partie sur la 5G.
Dans ces conditions, le lancement en fanfare d’HarmonyOS est loin de régler tous les problèmes du fabricant chinois. L’avenir dira si c’est réellement un Big Bang annonciateur d’une expansion considérable pour Huawei, ou si au contraire il ne protègera pas ce dernier d’un Big Crunch, l’effondrement terminal qui est l’un des destins possibles de l’univers.
Mise à jour du 20 août 2019 :
Lundi 19 août 2019, le département américain du Commerce a annoncé qu’il prolongeait de 90 jours la licence temporaire qui permet de suspendre certaines des restrictions pesant sur les contrats commerciaux conclus avec Huawei.
Washington continue à souffler le chaud et le froid, puisque dans le même temps, le Bureau de l’Industrie et de la Sécurité (BIS) du département a ajouté 46 nouvelles filiales de Huawei sur la liste des entités blacklistées.
La stratégie d’indépendance de Huawei vis-à-vis des technologies américaines garde donc toute sa pertinence.
Mise à jour du 1er septembre 2019 :
Un porte-parole de Google a confirmé à l’agence de presse Reuters le 28 août 2019 que tout nouveau téléphone lancé par Huawei ne pourrait pas disposer, dans l’immédiat, des services de Google. Pourtant, Huawei a confirmé que son nouveau smartphone, le Mate 30, sera bel et bien dévoilé comme prévu lors d’une conférence à Munich, le 19 septembre. Reste à savoir si ce modèle sera commercialisé ailleurs qu’en Chine. En effet, l’absence de l’écosystème Google obère sérieusement les chances de succès du Mate 30 en occident, et il n’est pas sûr que Huawei soit prêt à prendre le risque d’un échec commercial en Europe.
Mise à jour du 16 novembre 2019 :
Malgré les propos encourageants tenus à Bloomberg début novembre par la Secrétaire d’Etat américaine au commerce Wilbur Ross, il semble bien que Huawei ne soit pas près de retrouver sa précieuse licence Android. Tout au plus devrait-il bénéficier d’un nouveau sursis de 6 mois à compter du 18 novembre, qui lui permettra de déployer des mises à jour d’Android sur ses téléphones déjà sur le marché, sans pouvoir en revanche installer les services Google sur ses nouveaux modèles.
Pas étonnant dans ces conditions que Huawei hausse le ton, en menaçant finalement de remplacer Android sur ses smartphones par HarmonyOS dès le mois de mai 2020. Après avoir dû renoncer au lancement à l’international de son tout dernier Mate 30, le constructeur chinois doit impérativement trouver une solution de remplacement au cas où les sanctions américaines s’éterniseraient. Il en va de son avenir sur le marché des smartphones hors de Chine.