Catégories
coup de chapeau informatique intelligence artificielle jeu sport télé

Rematch : est-ce vraiment un ordinateur qui a battu Kasparov ?

Arte a diffusé en octobre une excellente série en six épisodes sur la confrontation entre Garry Kasparov, champion du monde d’échecs, et le super ordinateur d’IBM, Deep Blue, intitulée Rematch.

C’est finalement Deep Blue qui l’a remporté. Mais est-ce vraiment un ordinateur qui a battu Kasparov ?

Avant de creuser la question, j’aimerais commencer par dire que j’ai réellement été enthousiasmé par la série. Il n’était pas évident a priori de réaliser une série populaire, dans le bon sens du terme, sur une confrontation échiquéenne. Or je crois que Rematch est captivante même pour ceux qui ne sont ni passionnés par les échecs, ni par l’informatique.

Mon avis sur la série Rematch

Une série avant tout psychologique

En effet, la série met en évidence les ressorts psychologiques profonds des protagonistes. En tout premier lieu, les ressorts de Kasparov bien sûr. Son mental de champion est bien montré, avec ses entraînements tant intellectuels que physiques (pompes et course à pied) ; son caractère irascible aussi. Le Kasparov dépeint dans la série a en effet un fort mauvais caractère. Pourtant, c’est à lui que l’on s’attache, au point de souhaiter fermement sa victoire, tant il est profondément humain. Mais surtout, on le voit cheminer psychologiquement, du déni de la possibilité de la défaite face à une machine jusqu’à la reconnaissance que Deep Blue est finalement un excellent joueur d’échecs. Les motivations carriéristes de la directrice marketing d’IBM sont aussi bien retranscrites, même s’il s’agit ici d’un personnage purement fictionnel.

Qui a réellement gagné le rematch ?

Garry Kasparov a gagné sa première confrontation contre Deep Blue en 1996. Mais IBM a offert une revanche (“rematch” dans la série) l’année suivante, lors de laquelle Kasparov s’est incliné face à l’évolution de la machine, appelée en réalité Deeper Blue.

Le véritable Garry Kasparov face à Deep Blue

On peut quand même se demander si cette confrontation signe en profondeur la victoire de la machine sur l’homme. En effet, la série montre que Kasparov était tellement fort qu’il en était réduit à s’entraîner seul, en jouant des parties contre lui-même. Dans le camp adverse, en revanche, c’est une débauche de moyens : une équipe d’ingénieurs est sur le pont pendant des mois et pendant le tournoi, pour optimiser Deeper Blue, et IBM va jusqu’à embaucher plusieurs grands maîtres pour faire progresser sa machine. La sensation que cela m’a laissé, c’est qu’on a fondamentalement assisté en 1997 à la victoire de l’argent sur le sport, dans un combat tout ce qu’il y a d’inégal.

L’IA pour l’intérêt général ou pour le profit ?

Avec Deep Blue et Deeper Blue, on n’était pas encore en présence de véritables intelligences artificielles. Si la machine d’IBM a fini par gagner, c’est en employant ce que les informaticiens appellent des attaques par force brute, c’est-à-dire une méthode de résolution de problèmes qui consiste à explorer systématiquement toutes les solutions possibles jusqu’à trouver celle qui fonctionne. En l’occurrence, Deeper Blue était capable de calculer 200 millions de coups par seconde. Avec de la force (de la puissance de calcul) et de l’argent (pour se payer les meilleurs talents), IBM a pu terrasser Kasparov. Les enjeux étaient bien évidemment financiers, et l’on voit dans la série la préoccupation du PDG d’IBM face aux fluctuations du cours de bourse de la société au fil des matches.

Autant la recherche de Kasparov était sportive et artistique, au sens de vouloir pousser l’art des échecs le plus loin possible, autant la motivation d’IBM était de démontrer sa supériorité technique pour en faire un argument marketing susceptible in fine d’augmenter les ventes. Rien d’altruiste là-dedans, donc.

Or la question se repose aujourd’hui avec le développement de l’intelligence artificielle. A t-il pour but de permettre à l’homme d’atteindre de nouveaux sommets dans différentes disciplines, ou uniquement d’engranger des profits financiers ? La question se pose d’autant plus que l’intelligence artificielle fait intervenir des questions éthiques sur ce qui fait le propre de l’homme et sur sa dignité.

On peut s’interroger sur les motivations qui sont à l’œuvre aujourd’hui dans la Silicon Valley et ailleurs, dans les labos qui développent les nouvelles IA, alors que des tombereaux d’argent sont déversés sur eux et que le leader du marché a décidé de renoncer, dans les faits, à son statut d’organisation à but non lucratif pour devenir une société commerciale… comme les autres.

Laisser un commentaire